31 août 2011

 

Les Meusiens en Crimée (8)

Jeudi :
On se lève à son rythme, le bus est prévu pour dix heures. Boucler les valises est plus simple que pour l'aller, cela consiste à y mettre le plus possible de choses en espérant tout rapporter à la maison. Parfois ce n'est pas facile à cause du poids qu'il ne faut pas dépasser comme chacun sait. On prend le petit déjeuner et on laissera sur place ce qui reste de sucre, de lait, de poudre de café. Mais ça, c'est rien. Parce que nos agapes de la veille, si copieuses, ont laissé suffisamment de restes pour remplir les frigos des cuisines que nous sommes censés laisser vides pour les occupants suivants. Il reste la moitié de la vodka. On la boit tout de suite ou on trouve une combine pour la transporter ? On la transvase dans des bouteilles vides en plastique.
Le bus arrive, on montre au chauffeur comment charger les valises dans la soute, on bouche la rue et un camion de gaz attend pour faire sa livraison.
Enfin on y va ! Cent mètres ! A peine l'angle de la rue dépassé nous voyons un camion de dépanneurs de lignes électriques avec nacelle en travers de la rue. Ben on attend que le gars dans la nacelle ait fini sa réparation pour repartir. Direction Razdolnoë, le bus y passe faire le plein dans sa station pourrie (il y en a des plus modernes mais il a sûrement une bonne raison).
Et hop, direction aéroport de Simferopol ! Mais il n'y aurait pas comme un malaise là ? Euh parce que quand nous sommes arrivés dix jours plus tôt, nous avions nos enfants avec nous, c'est même pour les accompagner que nous avons accompli ce voyage. Faire comprendre au chauffeur que nous étions en train d'oublier nos jeunes en Crimée, qu'il fallait tout d'abord s'arrêter, le temps de joindre notre interprête, qu'il prévienne Nathalie et que celle-ci lui ordonne de faire demi tour. Pas simple ! Enfin on y arrive, les forfaits des téléphones portables n'étaient pas tous à sec.
Nous récupérons nos jeunes danseurs vers onze heures du matin. Ils attendaient depuis huit heures du matin devant la salle des fêtes et personne ne semblait s'inquiéter de ne pas nous voir arriver. Fascinant ! Le chauffeur se prend la soufflante du siècle par l'ancien capitaine de l'Armée Rouge.
On fait les adieux de circonstance.
A Simferopol nous posons nos valises à la consigne et faisons un tour en ville par le biais des transports en commun. Cette ville, capitale de la Crimée nous paraît assez entretenue pour ce qui concerne les rues que nous avons arpentées. Les fils électriques aériens nous semblaient juste un peu comme ceux qu'on peut voir dans une ville de l'Inde, assez touffus avec parfois un fil qui pend jusqu'au sol. Nous n'avons pas trouvé dans les commerces ce que nous cherchions et le temps nous manquait. De toute façon à chacune de nos sorties le temps a manqué, gâché par des atermoiements dus au manque d'organisation. Si les Ukrainiens veulent développer le tourisme dans leur pays, il va falloir qu'ils soient un peu plus dégourdis. Mais cela viendra.
Notre groupe fait une pause dans un fast food nommé "Burger club" avec pour emblème une feuille d'érable. Quatre personnes nous accueillent, une seule prend nos commandes. Les autres regardent, pas stressés. Les tâches sont bien réparties : l'une prend les commandes, l'autre encaisse, une autre sert aux tables et la dernière débarasse. Nous étions six ou huit à débarquer dans l'établissement quasi vide à cette heure. Mais au moins on y parle Anglais.
Pour regagner l'aéroport nous attendons un bus devant la poste principale. Là c'est la folie. Les bus de petite taille se suivent à un rythme très rapide. Chaque bus qui arrive à l'arrêt klaxonne aussitôt comme un taré pour le bus qui précède même s'il est encore en train d'échanger des voyageurs. Cela donne un vacarme épouvantable dans cette rue. Dans ces transports on est serré comme des harengs et on paie en liquide au chauffeur avec l'appoint. Celui qui monte derrière passe l'argent à un autre usager qui fait passer jusqu'à l'avant du bus. Personne ne triche. C'est simple. Nous sommes montés à dix dans le véhicule, une partie d'entre nous est montée à l'avant et a payé pour nous. Et à l'arrière nous voyons un gars qui est complètement stressé et qui se met à manifester sa soif de justice jusqu'à ce que les autres de l'avant lui fassent comprendre par signe que notre course était réglée. Ca c'est l'esprit soviétique ! En France on s'en moque de voir quelqu'un tricher, pour un peu on le couvrirait. Chez nous c'est bien vu (souvent) si on triche avec l'Etat.
Maintenant on commence à être familiarisé aux formalités des aéroports, nos valises enregistrées nous prenons l'air devant les bâtiments, assis à même les bordures des trottoirs. Nous voyons passer précipitamment, avec notre interprète, la jeune fille qui avait oublié son passeport le premier jour. Encore un problème ! Comme elle n'avait pas pris le vol aller, la compagnie a annulé son retour. En fait elle nous a rejoints avec un autre vol depuis Francfort dès qu'elle a eu un nouveau passeport fait en 48 heures, grâce à des interventions haut placées. Mais là c'est chaud pour elle, elle risque de se retrouver seule en Ukraine. Il y a des jours comme ça !
Bah, ça s'arrange et il faut bien l'entourer pour l'aider à surmonter ce nouveau choc.
Au portique de sécurité j'entends l'agent qui dit :
-A la guerre comme à la guerre !
Nous n'avons pas le temps d'être surpris par ses mots de Français que nous le voyons ouvrir le sac d'Eugénie, en sortir la trousse et en extraire une paire de ciseaux et un compas. Et m...de !
Bon, on se marre et lui aussi puis il nous fait signe que ces objets sont confisqués en prenant un air désolé. Non, on ne va pas se mettre à chialer !
Beaucoup de voyageurs se font emballer leurs bagages dans des feuilles de plastique, soit pour les protéger, soit peut-être pour être sûrs qu'ils n'ont pas été ouverts. Nous l'avons fait juste pour une de nos valises qui avait dû servir pendant l'exode en 40.
Le soleil se couche, nous montons à bord d'un de ces magnifiques oiseaux qui... Ta g... !
Bon, alors on décolle et devinez ! On nous sert à nouveau ce petit chausson fourré à la bouillie de kacha ! Avant d'être servi on sent cette bonne odeur de viennoiserie, on pense à un bon pain au chocolat passé au four, bah, c'est mangeable quand-même ! Le steward qui nous sert a une vraie tête de Russe : Poutine en plus froid encore ! Il pourrait jouer dans des films d'espionnage. Le tueur implacable, tin tin tin !
Et je m'adresse à vous qui me lisez et qui avez voyagé avec nous : vous vous souvenez de sa tête ? Heureusement que j'ai pris des notes !
Adieu la Crimée ! Les hublots nous dévoilent un ciel d'un rouge sang à l'horizon. Autre défi : comment refaire la même couleur avec des tubes de gouache ?
Allez, on ne discute pas, on se pose à Kiev, là ! Et on s'apprête à passer une petite nuit dans l'aérogare. Cette perspective ne nous effraie pas. Il y a de l'animation, cet endroit n'est jamais désert, il y a beaucoup de passage.
Je me remémore une nuit que j'avais passée dans la gare de Dijon pour une correspondance. Des types s'étaient carrément installés dans la salle d'attente, y occupaient tout l'espace et dormaient dans des sacs de couchage ou duvets posés sur le sol. Je vois des agents arriver et commencer à les faire déguerpir parlant un Anglais approximatif et lançant des "quick !" pour les faire accélérer. J'avais trouvé ça drôle : leurs "quick !" au moment où ils leur volaient dans les plumes.
Autre gare, celle de Metz. Passé une certaine heure, sûrement quand les cafés de la banlieues sont fermés, arrivent dans la brasserie ouverte en permanence, des gars du genre louche. Des militaires attendent leurs trains. On sent l'électricité statique dans l'air. Et ça part d'un seul coup : les chaises se mettent à voler. Et ce qui est vraiment surprenant c'est de voir les serveurs s'y mettre aussi, la mêlée devient aussitôt générale. Je me souviens d'une autre fous où en voyant une mare de sang par terre, je me suis dit que j'arrivais trop tard. Zut, alors, j'ai loupé !
Non, là à Kiev dans l'immense hall, c'est plus calme, du moins pendant un certain temps. Des gens dorment en utilisant plusieurs sièges. Pour les autres, ça sera par terre. Nos valises posées sur les chariots forment un rempart le long du mur du fond et ça dort derrière, un vrai dortoir. D'autres s'occupent du restant de vodka de la veille. Ils ont dû faire le nécessaire parce que ça commençait à se voir dans leur façon de parler (à se voir : qui a rélévé la perle ?). Disons qu'il vaut mieux qu'ils récupèrent avant le prochain embarquement s'ils veulent rentrer en France.
Intéressantes les boutiques qui proposent des souvenirs d'Ukraine. Les objets sont parfois très jolis qu'on se moquerait de savoir comment ils sont fabriqués et d'où ils viennent. La figurine à l'effigie de Staline m'amuse et me rappelle que nombreux dans ce pays sont ceux qui l'admirent. Ceux qui n'ont vu personne de leur famille partir en déportation pour la terrible Sibérie.
On se demande comment choisir une boisson aux distributeurs automatiques jusqu'à ce qu'on arrive à déchiffrer le mot capuccino en caractères cyrilliques. La boisson obtenue ne récompense pas de l'effort linguistique fourni. On regrette même d'avoir réussi à faire son choix. En même temps nous sommes dans l'ex empire où sévissait Raspoutine qui aurait pu vivre en bonne entente avec les Borgia.
Près de nous se trouve une boutique où je m'offre un calendrier dont l'intérêt réside dans le format et la beauté des images qui le décorent.
A partir de 2h 30 du matin le hall s'emplit et devient bruyant. A trois heures c'est plein et de longues files d'attente se forment devant nous. On voit passer du monde et on peut même se faire un petit classement pour s'amuser. On peut compter les femmes qui ont des talons hauts, celles qui ont de longs cheveux, tiens un slip en dentelles sous une robe blanche translucide. Oh je vois passer un couple assorti bizarrement, là. Lui porte un costume bien coupé, une petite moustache et a l'air du parfait demi-sel des années cinquante. Elle, c'est plutôt la bobonne toute boulotte, basse sur pattes, la démarche dandinante (un mètre cinquante au garrot).
Le temps d'escale a passé vite, on embarque peu après six heures du matin pour la France après être passé dans le nouveau portique où il faut lever les mains. On monte dans le ciel, on admire le paysage ukrainien une dernière fois. Nous passons au-dessus des nuages, nous ne verrons plus rien d'autre jusqu'à l'atterrissage à Roissy. C'est incroyable ça que la moitié d'un continent soit sous les nuages pendant des jours et des jours. Y a-t-il un autre endroit au monde où c'est comme ça ?
Distribution des repas en cabine. Surprise ! Euh, c'est quoi ça ? Une pâte bizarre, coupée au carré. Agnès me précise que c'est de l'omelette. Elle a réussi à l'identifier. Parce que moi je me voyais déjà en prélever un morceau pour le confier aux laboratoires de la police criminelle pour savoir ce que c'est (ils sont très forts).
On regarde le soleil une dernière fois avant de descendre sous la nappe de nuages.

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