31 août 2011

 

Les Meusiens en Crimée (8)

Jeudi :
On se lève à son rythme, le bus est prévu pour dix heures. Boucler les valises est plus simple que pour l'aller, cela consiste à y mettre le plus possible de choses en espérant tout rapporter à la maison. Parfois ce n'est pas facile à cause du poids qu'il ne faut pas dépasser comme chacun sait. On prend le petit déjeuner et on laissera sur place ce qui reste de sucre, de lait, de poudre de café. Mais ça, c'est rien. Parce que nos agapes de la veille, si copieuses, ont laissé suffisamment de restes pour remplir les frigos des cuisines que nous sommes censés laisser vides pour les occupants suivants. Il reste la moitié de la vodka. On la boit tout de suite ou on trouve une combine pour la transporter ? On la transvase dans des bouteilles vides en plastique.
Le bus arrive, on montre au chauffeur comment charger les valises dans la soute, on bouche la rue et un camion de gaz attend pour faire sa livraison.
Enfin on y va ! Cent mètres ! A peine l'angle de la rue dépassé nous voyons un camion de dépanneurs de lignes électriques avec nacelle en travers de la rue. Ben on attend que le gars dans la nacelle ait fini sa réparation pour repartir. Direction Razdolnoë, le bus y passe faire le plein dans sa station pourrie (il y en a des plus modernes mais il a sûrement une bonne raison).
Et hop, direction aéroport de Simferopol ! Mais il n'y aurait pas comme un malaise là ? Euh parce que quand nous sommes arrivés dix jours plus tôt, nous avions nos enfants avec nous, c'est même pour les accompagner que nous avons accompli ce voyage. Faire comprendre au chauffeur que nous étions en train d'oublier nos jeunes en Crimée, qu'il fallait tout d'abord s'arrêter, le temps de joindre notre interprête, qu'il prévienne Nathalie et que celle-ci lui ordonne de faire demi tour. Pas simple ! Enfin on y arrive, les forfaits des téléphones portables n'étaient pas tous à sec.
Nous récupérons nos jeunes danseurs vers onze heures du matin. Ils attendaient depuis huit heures du matin devant la salle des fêtes et personne ne semblait s'inquiéter de ne pas nous voir arriver. Fascinant ! Le chauffeur se prend la soufflante du siècle par l'ancien capitaine de l'Armée Rouge.
On fait les adieux de circonstance.
A Simferopol nous posons nos valises à la consigne et faisons un tour en ville par le biais des transports en commun. Cette ville, capitale de la Crimée nous paraît assez entretenue pour ce qui concerne les rues que nous avons arpentées. Les fils électriques aériens nous semblaient juste un peu comme ceux qu'on peut voir dans une ville de l'Inde, assez touffus avec parfois un fil qui pend jusqu'au sol. Nous n'avons pas trouvé dans les commerces ce que nous cherchions et le temps nous manquait. De toute façon à chacune de nos sorties le temps a manqué, gâché par des atermoiements dus au manque d'organisation. Si les Ukrainiens veulent développer le tourisme dans leur pays, il va falloir qu'ils soient un peu plus dégourdis. Mais cela viendra.
Notre groupe fait une pause dans un fast food nommé "Burger club" avec pour emblème une feuille d'érable. Quatre personnes nous accueillent, une seule prend nos commandes. Les autres regardent, pas stressés. Les tâches sont bien réparties : l'une prend les commandes, l'autre encaisse, une autre sert aux tables et la dernière débarasse. Nous étions six ou huit à débarquer dans l'établissement quasi vide à cette heure. Mais au moins on y parle Anglais.
Pour regagner l'aéroport nous attendons un bus devant la poste principale. Là c'est la folie. Les bus de petite taille se suivent à un rythme très rapide. Chaque bus qui arrive à l'arrêt klaxonne aussitôt comme un taré pour le bus qui précède même s'il est encore en train d'échanger des voyageurs. Cela donne un vacarme épouvantable dans cette rue. Dans ces transports on est serré comme des harengs et on paie en liquide au chauffeur avec l'appoint. Celui qui monte derrière passe l'argent à un autre usager qui fait passer jusqu'à l'avant du bus. Personne ne triche. C'est simple. Nous sommes montés à dix dans le véhicule, une partie d'entre nous est montée à l'avant et a payé pour nous. Et à l'arrière nous voyons un gars qui est complètement stressé et qui se met à manifester sa soif de justice jusqu'à ce que les autres de l'avant lui fassent comprendre par signe que notre course était réglée. Ca c'est l'esprit soviétique ! En France on s'en moque de voir quelqu'un tricher, pour un peu on le couvrirait. Chez nous c'est bien vu (souvent) si on triche avec l'Etat.
Maintenant on commence à être familiarisé aux formalités des aéroports, nos valises enregistrées nous prenons l'air devant les bâtiments, assis à même les bordures des trottoirs. Nous voyons passer précipitamment, avec notre interprète, la jeune fille qui avait oublié son passeport le premier jour. Encore un problème ! Comme elle n'avait pas pris le vol aller, la compagnie a annulé son retour. En fait elle nous a rejoints avec un autre vol depuis Francfort dès qu'elle a eu un nouveau passeport fait en 48 heures, grâce à des interventions haut placées. Mais là c'est chaud pour elle, elle risque de se retrouver seule en Ukraine. Il y a des jours comme ça !
Bah, ça s'arrange et il faut bien l'entourer pour l'aider à surmonter ce nouveau choc.
Au portique de sécurité j'entends l'agent qui dit :
-A la guerre comme à la guerre !
Nous n'avons pas le temps d'être surpris par ses mots de Français que nous le voyons ouvrir le sac d'Eugénie, en sortir la trousse et en extraire une paire de ciseaux et un compas. Et m...de !
Bon, on se marre et lui aussi puis il nous fait signe que ces objets sont confisqués en prenant un air désolé. Non, on ne va pas se mettre à chialer !
Beaucoup de voyageurs se font emballer leurs bagages dans des feuilles de plastique, soit pour les protéger, soit peut-être pour être sûrs qu'ils n'ont pas été ouverts. Nous l'avons fait juste pour une de nos valises qui avait dû servir pendant l'exode en 40.
Le soleil se couche, nous montons à bord d'un de ces magnifiques oiseaux qui... Ta g... !
Bon, alors on décolle et devinez ! On nous sert à nouveau ce petit chausson fourré à la bouillie de kacha ! Avant d'être servi on sent cette bonne odeur de viennoiserie, on pense à un bon pain au chocolat passé au four, bah, c'est mangeable quand-même ! Le steward qui nous sert a une vraie tête de Russe : Poutine en plus froid encore ! Il pourrait jouer dans des films d'espionnage. Le tueur implacable, tin tin tin !
Et je m'adresse à vous qui me lisez et qui avez voyagé avec nous : vous vous souvenez de sa tête ? Heureusement que j'ai pris des notes !
Adieu la Crimée ! Les hublots nous dévoilent un ciel d'un rouge sang à l'horizon. Autre défi : comment refaire la même couleur avec des tubes de gouache ?
Allez, on ne discute pas, on se pose à Kiev, là ! Et on s'apprête à passer une petite nuit dans l'aérogare. Cette perspective ne nous effraie pas. Il y a de l'animation, cet endroit n'est jamais désert, il y a beaucoup de passage.
Je me remémore une nuit que j'avais passée dans la gare de Dijon pour une correspondance. Des types s'étaient carrément installés dans la salle d'attente, y occupaient tout l'espace et dormaient dans des sacs de couchage ou duvets posés sur le sol. Je vois des agents arriver et commencer à les faire déguerpir parlant un Anglais approximatif et lançant des "quick !" pour les faire accélérer. J'avais trouvé ça drôle : leurs "quick !" au moment où ils leur volaient dans les plumes.
Autre gare, celle de Metz. Passé une certaine heure, sûrement quand les cafés de la banlieues sont fermés, arrivent dans la brasserie ouverte en permanence, des gars du genre louche. Des militaires attendent leurs trains. On sent l'électricité statique dans l'air. Et ça part d'un seul coup : les chaises se mettent à voler. Et ce qui est vraiment surprenant c'est de voir les serveurs s'y mettre aussi, la mêlée devient aussitôt générale. Je me souviens d'une autre fous où en voyant une mare de sang par terre, je me suis dit que j'arrivais trop tard. Zut, alors, j'ai loupé !
Non, là à Kiev dans l'immense hall, c'est plus calme, du moins pendant un certain temps. Des gens dorment en utilisant plusieurs sièges. Pour les autres, ça sera par terre. Nos valises posées sur les chariots forment un rempart le long du mur du fond et ça dort derrière, un vrai dortoir. D'autres s'occupent du restant de vodka de la veille. Ils ont dû faire le nécessaire parce que ça commençait à se voir dans leur façon de parler (à se voir : qui a rélévé la perle ?). Disons qu'il vaut mieux qu'ils récupèrent avant le prochain embarquement s'ils veulent rentrer en France.
Intéressantes les boutiques qui proposent des souvenirs d'Ukraine. Les objets sont parfois très jolis qu'on se moquerait de savoir comment ils sont fabriqués et d'où ils viennent. La figurine à l'effigie de Staline m'amuse et me rappelle que nombreux dans ce pays sont ceux qui l'admirent. Ceux qui n'ont vu personne de leur famille partir en déportation pour la terrible Sibérie.
On se demande comment choisir une boisson aux distributeurs automatiques jusqu'à ce qu'on arrive à déchiffrer le mot capuccino en caractères cyrilliques. La boisson obtenue ne récompense pas de l'effort linguistique fourni. On regrette même d'avoir réussi à faire son choix. En même temps nous sommes dans l'ex empire où sévissait Raspoutine qui aurait pu vivre en bonne entente avec les Borgia.
Près de nous se trouve une boutique où je m'offre un calendrier dont l'intérêt réside dans le format et la beauté des images qui le décorent.
A partir de 2h 30 du matin le hall s'emplit et devient bruyant. A trois heures c'est plein et de longues files d'attente se forment devant nous. On voit passer du monde et on peut même se faire un petit classement pour s'amuser. On peut compter les femmes qui ont des talons hauts, celles qui ont de longs cheveux, tiens un slip en dentelles sous une robe blanche translucide. Oh je vois passer un couple assorti bizarrement, là. Lui porte un costume bien coupé, une petite moustache et a l'air du parfait demi-sel des années cinquante. Elle, c'est plutôt la bobonne toute boulotte, basse sur pattes, la démarche dandinante (un mètre cinquante au garrot).
Le temps d'escale a passé vite, on embarque peu après six heures du matin pour la France après être passé dans le nouveau portique où il faut lever les mains. On monte dans le ciel, on admire le paysage ukrainien une dernière fois. Nous passons au-dessus des nuages, nous ne verrons plus rien d'autre jusqu'à l'atterrissage à Roissy. C'est incroyable ça que la moitié d'un continent soit sous les nuages pendant des jours et des jours. Y a-t-il un autre endroit au monde où c'est comme ça ?
Distribution des repas en cabine. Surprise ! Euh, c'est quoi ça ? Une pâte bizarre, coupée au carré. Agnès me précise que c'est de l'omelette. Elle a réussi à l'identifier. Parce que moi je me voyais déjà en prélever un morceau pour le confier aux laboratoires de la police criminelle pour savoir ce que c'est (ils sont très forts).
On regarde le soleil une dernière fois avant de descendre sous la nappe de nuages.

 

Les Meusiens en Crimée (7)

Mercredi :
Sur le marché de Razdolnoë nous faisons quelques achats sans Youri notre traducteur. A force nous finissons par nous débrouiller et c'est même amusant, les vendeurs sont bien plus plaisants et patients que ceux auxquels nous avions eu affaire quelques années plus tôt à La Valette, principale ville de Malte.
Je me suis acheté une paire de claquettes ou chlapettes, ou tatanes au choix. Pour trouver ce qui va bien à mon pied, il en a fallu des gestes et des mots prononcés maladroitement. Quand je changeais de vendeur, les autres suivaient pour voir la suite, ça les changeait de l'ordinaire. Ca mettait un peu d'animation dans l'allée du marché.
Et voilà, comme ça j'étais équipé pour d'autres promenades dans notre région avant la fin de l'été (en passant par la Lorraine avec mes chlapettes).
Petit passage par la poste pour les cartes postales que nous avons fini par trouver à Yalta. Comme c'est un bâtiment d'Etat, c'est gris, poussiéreux, sans clim' mais abondamment décoré dans le pur style de la propagande soviétique. Les postières sont aimables, et oui messieurs !
Les cartes postales sont un peu différentes de celles que nous utilisons en Europe de l'ouest. Elles ont du côté droit deux emplacements pour les adresses, au-dessus l'expéditeur, au dessous le destinataire ; enfin ça dépend des cartes, parfois c'est l'inverse ; bref, vont-elles arriver à bon port ?
Dans la rue des messieurs se tiennent près d'une table à côté de laquelle un drapeau rouge attend un peu de vent pour se déployer. Ils proposent de s'inscrire au parti communiste. Pourquoi pas, au point où on en est ! Je leur fais comprendre que je suis Français (Françouski) et moi-même un peu communiste sur les bords. On se serre vigoureusement la main en disant : Tovaritch !
Bon, après je ne leur dis pas que je suis Trotskyste histoire de ne pas me prendre un coup de piolet sur la tête, j'ai déjà un coup de soleil, faut pas cumuler.
Le retour au motel se fait avec un beau bouquet de roses pour Nathalie (notre guide). Je crois surtout qu'elle servait de guide à notre chauffeur car dégourdi comme il est, il aurait été capable de nous emmener à Ranguevaux* l'air de rien.
Nous passons un dernier après midi à la plage, ça commence à sentir la fin. Nos enfants sont avec leurs familles correspondantes, certains ont été nager avec les dauphins. J'ai vu les photos, ces charmants mammifères marins sont vraiment très affectueux, les jeunes ont vécu quelque chose de très fort.
Le soir on sent que quelque chose se prépare sous la tonnelle. Nathalie nous avait promis de nous apporter ce qu'il faut pour le repas du soir. Et apparemment c'est du copieux. Et varié. Les vins de Crimée se montrent à la hauteur de nos palais délicats. Et n'oublions pas la vodka qui arrive en force sous la forme d'une bouteille de trois litres surmontée d'une pompe pour la distribution dans les verres. Voir Nathalie actionner cette pompe c'est se dire qu'à ce moment elle est notre maman à tous !
Le niveau sonore de notre assemblée suit la progression de l'alcool dans nos veines. La musique et la danse ne manquent pas pour exprimer la joie de vivre de notre groupe de voyageurs tous risques.
On poura dire que pendant ce séjour, certains d'entre nous auront eu la possibilité d'approfondir leur culture en matière de dégustation de vodka. Les séances de travaux pratiques ont été régulièrement suivies.
Un couple d'Ukrainiens s'était joint à nous, visiblement ils se sont payé une bonne tranche de rigolade, comme quoi le rire saute allègrement la barrière des langues.


*petit village de Moselle dont la fête patronale a lieu le dernier dimanche d'août ; l'attraction principale est son concours de quilles auquel on peut gagner un mouton.

 

Les Meusiens en Crimée (6)

Mardi :
Départ à cinq heures trente du matin pour Yalta, la destination la plus lointaine de la série d'excursions. On s'attend à avoir une longue journée avec son lot d'épreuves dont la chaleur n'est pas la moindre. A Razdolnoë notre bus rejoint l'autre plus petit mais assez confortable pour les normes ukrainiennes. Nous allons en principe le suivre toute la journée ; il secoue, euh pardon, il transporte les élèves ukrainiens et leurs profs de danse.
Après deux heures de cahots sur ces fameuses routes de Crimée, la première pause pipi impose à chacun de se trouver une portion de haie suffisante pour espérer garantir un peu d'intimité lors de la satisfaction de nos besoins naturels.
On repart. Plus loin près d'un rond-point à l'entrée d'une agglomération d'importance nous voyons le premier bus à l'arrêt sur une aire de station-service. Notre chauffeur ne l'a pas vu, entre sur le rond-point, hésite un peu puis entreprend de suivre un bus dont on voit assez vite que s'il est semblable à celui que nous avions suivi a un comportement tout autre : il s'arrête régulièrement. A chaque arrêt des gens en descendent, d'autres y montent, c'est un bus de ligne urbaine à n'en point douter et nous autres citoyens occidentaux sommes habitués à voir des véhicules s'arrêter régulièrement à des endroits repérables grâce à quelques équipements sommaires mais répétitifs qu'on appelle vulgairement des arrêts de bus. Notre chauffeur, visiblement ne doit pas être rôdé à ces coutumes puisqu'il suit l'autre bus en marquant les arrêts derrière lui et des gens faisaient signe pour qu'il ouvre les portes afin de monter à leur tour. Après plusieurs arrêts, des rouages doivent commencer à grincer dans sa tête puisqu'il se met à hésiter. Enfin il finit par faire demi-tour et rejoindre le premier autocar. Nous faisons alors une deuxième pause agrémentée cette fois d'un café et de viennoiseries pour les plus rapides.
C'est reparti. Bientôt les reliefs commencent à apparaître devant nous. Là le paysage devient vraiment extraordinaire, il était juste dommage que la route ne comportait pas de portions aménagées pour s'arrêter un peu, le temps de prendre quelques photos. Un détail dans le paysage nous a aussi amené à réagir : sur le bord de la route on voyait régulièrement des voitures de Police avec des, mince ! Oui, des policiers qui montaient la garde avec leurs petites radios portables. On se noyait dans les conjectures lorsque Youri notre interprête nous donna la solution : ils montent la garde devant les entrées des propriétés appartenant aux personnalités du pays. Quand je vous disais que ce pays est en avance sur nous. Leur police est déjà privatisée.
Nous parvenons à proximité du lieu de notre première visite : le palais Vorontsof. Il est près de midi.
Notre bus s'est retrouvé engagé dans de petites rues pas du tout prévues pour la circulation de tels engins, il est de notoriété publique que les habitants du secteur se souviendront longtemps de l'embouteillage qu'il a provoqué en tentant de s'en sortir par une marche arrière historique.
Le temps d'acheter les billets pour la première visite, nous pénétrons dans cette vaste demeure. Nous visitons les jardins. Youri tenait tant à nous montrer un "lac" artificiel que nous l'avons suivi jusque là pour voir une mare avec quelques poissons qui tournent dans le sens que leur ont désigné les forces de Coriolis dont chacun sait qu'elles résultent de la rotation de la terre. De ce fait nous oublions une autre rotation celle des aiguilles de la montre. Après avoir vu de l'autre côté des jardins un superbe lieu de stationnement prévu pour le stationnement des bus, nous envisageons de retrouver le nôtre. On ne va pas entrer dans les détails, disons que le petit autocar nous a servi de navette pour nous ramener au gros.
Notre véhicule terrestre entreprend l'ascension de cette Chaîne Taurique qui barre le sud de la péninsule jusqu'à l'entrée d'un restaurant de tourisme disposant de terrasses bien sympathiques. C'est d'ailleurs tout ce qu'il a cet établissement, avec les serveurs qui semblaient se marrer par moment à nous voir faire. Il était temps d'ailleurs car notre engin de transport de troupes commençait à donner des signes de fatigue intense comme l'odeur qui s'en dégageait.
Justement, moi aussi, rien que d'évoquer ce moment je me sens las tout à coup. Je m'accorde également une petite pause.
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Ouf, ça va mieux !
Nous sommes assis, on demande : qui veut manger ? Nous levons tous le doigt car nous sommes moins décidés à jouer au 4-21, vu lheure qu'il est. Autour de seize heures. En France, à part les fast foods, on ne sert plus dans les restaurants. On nous annonce ensuite les tarifs des repas et comme nous sommes dans une zone touristique, le boeuf qui nous sera servi n'a mangé que des trèfles à quatre feuilles pour être à ce prix là. La moitié déclare forfait, les autres entament une longue attente, le boeuf n'étant pas encore tué. Les portions sont telles qu'on imagine que le cuisinier travaille avec des pinces à épiler pour retourner la viande.
On reprend la route dans la montagne, vu l'heure on a décidé de ne faire que passer devant chaque point intéressant de façon à pouvoir raconter qu'on y a été. Puis finalement on décide de se poser dans Yalta pour au moins voir la ville et faire éventuellement quelques achats. Notre carcasse roulante nous dépose plutôt en haut de la ville et on ne peut même pas aller jusqu'au bord de la mer, c'est trop loin. En fait on procède plutôt au ravitaillement : boisson plus un truc à grignoter.
Et hop on entame le chemin du retour. La nuit arrive vite nous roulons encore un long moment dans la montagne avant de perdre le contact visuel avec le paysage. Notre charette à rideaux tout neufs commence vraiment à peiner au point que le chauffeur doit l'arrêter sur le bord de la route et comme il ne peut nous donner d'explications nous commençons à nous demander comment nous allons nous organiser pour le rapatriement.
Tant bien que mal nous sommes quand-même revenus au motel mais fatigués par la chaleur et les marches autant que les temps passés à piétiner avant la visite. Finalement, vu le temps passé au total pour la sortie, nous n'avons pas vu grand chose. L'organisation a besoin d'être revue sérieusement pour réduire les temps morts, surtout par cette chaleur.
Inutile d'insister pour retenir les nombreuses discussions préalables à cette sortie. Le mal qu'il a fallu pour se mettre d'accord et pour aller à Yalta, un comble !

16 août 2011

 

Les Meusiens en Crimée (5)

Finalement les gens les plus dynamiques que j'aurai rencontré dans ma vie sont ceux qui font dans l'humanitaire, les ONG, le social, ceux-là te retournent tout et font des exploits tous les jours surtout dans les conditions extrêmes qu'on peut rencontrer dans certains pays. Ca n'est certainement pas les petits branleurs encravatés de frais qui te fourguent des bagnoles avec des options qui sont foutues au bout de deux ans.

Dimanche (dobry den = bonjour) :
Après avoir lu le passage de Fernand Braudel qui explique comment on traitait les pauvres au XVIIè siècle et en avoir conclu que nos dirigeants actuels n'ont rien inventé, je suis la caravane jusqu'à la playa. On s'étale, on s'allonge, on se tartine de crème. Que va-t-il se passer ce matin ? Le stand de tir est calme, pas de client. Je vois arriver un type qui installe un petit palmier en plastique d'un mètre de haut, dispose à côté de ça un gros tigre en peluche de même taille, les proportions ne sont pas respectées. Il veut se baigner avec ou quoi ? Il dresse également un perchoir sur lequel se trouve un faucon plus vrai que nature et qui a vraiment l'air de s'emmerder.
Il le dresse pour la pêche ? Je m'attends à tout maintenant. Je vais prendre une photo de ce décor improvisé. Déjà le gars se met à manifester une certaine mauvaise humeur à mon égard. Je m'éloigne le temps de comprendre le motif de sa réaction. Je le vois qui pose un kefieh sur la tête du gamin, lui met le faucon sur la main puis sort un superbe appareil photo tout en continuant à rouspéter, puis à faire mine de me prendre en photo. Franchement je le trouve idiot de s'énerver à ce point là !
L'après-midi vers seize heures, nous partons à plusieurs vers la fameuse pointe qu'on voit sur les cartes du secteur. Celle-ci forme un grand cap en arc de cercle qui délimite sur un côté la portion de mer où nous nous baignons et qui peut-être la rend si chaude. Pour y aller nous empruntons une route qui très vite se transforme en piste dans un paysage de western. La flore au bord de la route est différente de celle qui se trouve en Lorraine. Les voitures qui passent soulèvent un nuage de poussière que le vent clément éloigne de nous. A mi-chemin se trouve une guérite en dur pour abriter la personne qui actionne une barrière qui ferme le passage. Comme le brave monsieur ne nous demande rien nous passons outre et poursuivons notre marche. En fait il prélève un péage sur les voitures qui passent pour le parking, peut-être, nous ne savons pas encore.
Nous arrivons à l'extrémité de ce cap et nous sommes entourés de véhicules, de tentes qui sont posées là de façon anarchique, le camping dit "sauvage" chez nous est complètement dans les habitudes locales. Les marchands d'emplacements délimités n'ont pas encore mis leurs griffes sur le littoral. Il y a des installations sanitaires, repérables à l'odeur et qui justifient finalement le péage prélevé par les messieurs de la barrière. Nous faisons une pause à la buvette munie de frigos pour lesquels les nombreux poteaux électriques qui ont rythmé le bord de la route fournissent la précieuse électricité dans cet endroit reculé. La vendeuse est une belle petite blondinette typiquement Ukrainienne qui se met à se trémousser quand je lui parle. Voir des étrangers occidentaux, ça lui fait ça, quoi ! C'était vraiment très drôle de la voir minauder à ce point.
Elle me parle avec des petits rires suraigus. Je me ravitaille en Pepsi, c'est devenu ma boisson de randonnée je trouve que ça désaltère mieux que l'eau.
Sur la plage nous retrouvons les amis de Sergueï. Ils sont fort étonnés de nous voir arrivés à cet endroit à pied. On nous avait dit que les Ukrainiens marchaient beaucoup, nous leur en avons mis plein la vue.
Nous repartons vers le village en marchant d'un pas décidé, souhaitant arriver avant la nuit. Nous nous remémorons les chants de marche, les chants scouts, ceux de la Wehrmacht, ceux des colonies de vacances, nous soulevons la poussière serrés les uns contre les autres. Et ça y va !
"A la troupe y a pas de jambe de bois !"
Nous parvenons à la barrière de péage et là les gars manifestent une certaine admiration pour nous. Ils sortent des chaises de leur guérite pour faire asseoir les dames. Ils nous prêtent leurs jumelles pour nous permettre de voir où en sont nos retardataires. Nous faisons quelques photos, nous amusons à fermer la barrière pour barrer les autos. Nous finissons par échanger nos adresses Skype. C'était vraiment sympa ce petit intermède !
Après une randonnée pareille nous préférons casser une petite croûte au motel.

Lundi :
L'excursion du jour ne nous mène pas trop loin : Epatoria.
Le premier objectif est la mosquée. Avant d'y entrer les dames doivent "se déguiser" comme dit Youri qui ne se doute pas qu'il fait ainsi de l'humour involontaire. Elles enfilent la tenue de la bonne musulmane. On s'estime déjà heureux de pouvoir visiter ce lieu de culte alors on va pas chercher la bagarre. Il faut y entrer avec le pied droit en avant comme le Prophète et ne pas franchir la ligne réservée aux croyants. Ah là nous n'avons pas oublié de prendre des photos de nos compagnes, nous ne sommes pas prêts de les revoir comme ça ! Le guide est un petit jeune qui nous fait le cathéchisme traduit par Youri.
Ensuite nous visitons la grande église orthodoxe avec sa décoration Windows (plein d'icônes).
Enfin nous avons quartier libre sur le port et dans les ruelles. Les marchands de cochonneries made in China se pressent sur la digue mais nous ne trouvons pas la moindre carte postale. Ce n'est visiblement pas dans les habitudes des ex-soviétiques d'en envoyer à la famille et aux amis.
Des coquillages typiques du Pacifique mais sûrement pas de la Mer Noire.
Dans les ruelles à quelques pas des lieux de culte du centre ville nous avons l'impression d'être dans les rues de Ramallah en pire. Les chaussées n'ont pas de revêtement et les trottoirs sont occupés le plus souvent par de hautes herbes voire des buissons. Nous évitons de nous y aventurer trop loin, pour ne pas prendre le risque de se perdre ou de se faire agresser. Des rues ont été rénovées mais on n'a pas trouvé de solution pour dissimuler les tuyaux qui distribuent le gaz dans les maisons et qui sont typiques de la Crimée. C'est intéressant de voir sur ces routes non asphaltées des voitures de luxe immatriculées en Russie. Cela montre l'aboutissement du système capitaliste : richesse privée pour très peu de monde et misère publique pour les autres. Notre destin à nous occidentaux.
Repas dans un restau très correct avec une clim' poussée très fort pour nous rappeler les étés lorrains. Une bonne assiette de crudités puis une escaloppe enrobée d'omelette, je pense que certains ont vu que nous avions apprécié ce plat.
Le soir rendez-vous à Razdolnoë pour le spectacle de danses qui doit clôturer le stage de nos élèves, lequel justifiait notre déplacement dans cette contrée.
Nos petits rats sont au maquillage et trompent l'attente en s'essayant à quelques pointes mais ce n'est pas très pratique en tongs.
Nous arrivons dans la salle de spectacle. Tiens je reconnais aussitôt quelqu'un : le gars qui faisait des photos sur la plage la veille. Il me semble qu'il m'a reconnu aussi. Il est le photographe de la soirée. Il me vise bien quand il prend le public en photo. Je le trouve très gamin, finalement.
Le spectacle a été fabuleux et plus d'une fois j'ai pensé à mes parents qui auraient certainement apprécié les costumes très colorés, la fraîcheur de l'exécution des danses, le talent des danseuses confirmées (elles font des écoles pour ça à Paris, ça rigole pas !). Le public a été très bon, applaudissant avec enthousiasme toutes les prestations. Nous avions des places réservées loin de la scène, ce n'était pas pratique pour les photos.
A la sortie nous rencontrons la famille de Nastia dont sa tante et son oncle qui parlent Allemand et qui ont déjà vécu un peu en Belgique.

 

Les Meusiens en Crimée (4)

Jeudi :
ce matin là je me sens un peu barbouillé mais rien de grave et de toute façon c'est une journée de repos, plutôt bienvenue après la cuisson que nous avons subie la veille. Le matin est consacré à des tâches liées à la propreté et ça nous permet de converser avec nos compagnons de voyage. A midi nous allons pratiquement tous au petit restau du hameau. On nous sert un petit bortsch au chou rouge puis du riz avec de la viande mais je ne suis pas allé jusque là. Je suis sorti et j'ai à peine eu le temps de faire quelques pas avant d'envoyer un geyser droit devant moi. Un employé est sorti aussitôt à mon secours pour m'aider à laver mes mains et raffraîchir ma tête avec de l'eau fraîche. Spaciba karacho, que je lui fais !
Nous rentrons au motel et là je m'exprime avec davantage de franchise dans la cuvette des toilettes de notre chambre. Agnès affolée court aussitôt chercher le médecin du groupe qui occupe la chambre en face. Il m'examine et me donne aussitôt un remède. En tout cas il va falloir se reposer et boire beaucoup. Lucie n'est pas en forme non plus.
Le petit vent qui vient de la mer nous fait du bien. Nous passons la fin de l'après-midi sur la plage. A notre retour Anne nous a rapporté un thermomètre médical et le médecin est revenu nous voir. Nous sommes bien entourés pour le coup !
La nuit suivante un orage s'est abattu sur notre village avec de bonnes averses, on se prend à espérer que cela apportera un peu de fraîcheur tout en se disant que ce n'est pas ça qui va détraquer le temps pour trois semaines comme en France.

Vendredi :
ce matin on ressent un bon petit vent qui nous soulage un peu. Le temps est très beau, le ciel bien dégagé comme s'il ne s'était rien passé. Je vais mieux mais pour Lucie ce n'est pas encore ça.
Nous nous promenons dans le hameau le matin, récupérons Eugénie et allons à notre petit restau. A côté de celui-ci quelques commerçants saisonniers étalent des souvenirs du genre cochonneries en coquillages dont les vacanciers russes ou ukrainiens raffolent. J'ai surtout apprécié les serviettes et les tshirts marqués CCCP et les petits bateaux qu'on trouvait chez nous quand j'étais gamin. Ils ont un petit moteur électrique à pile et au moins imitent un peu les vrais. J'ai même trouvé un petit sous marin.
L'après midi petit tour à la plage. J'ai aimé le stand de tir qui s'y trouve mais je me suis étonné de voir le type qui le tient faire une démonstration de son adresse ou de la précision de ses armes en se tenant quelque mètres devant pour viser les cibles. Et cela avec des mômes intéressés plantés en avant de lui pour voir le résultat. Je suis allé voir ça de plus près quand le gars avait réintégré son stand juste pour suivre les exploits d'une gamine qui devait avoir cinq ou six ans à tout casser tenir une Kalachnikoff et descendre une rangée de canettes sous les yeux de son père qui , l'encourageait avec des "davaï !". Le calibre a beau être celui d'un tir de foire, il faut quand-même mettre au bout comme on dit !
En rentrant nous passons au magasin d'Etat (je ne sais pas quel est son statut maintenant) pour nous ravitailler un peu. J'aime voir les vendeuses utiliser ces vieilles balances blanches des années cinquante et nous faire le total avec un boulier en quelques secondes puis taper le résultat sur une calculette pour nous le montrer. J'ai remarqué que tous les commerçants du coin ont le même modèle de calculette. Ils ont dû toucher une dotation juste avant l'effondrement de leur système, qui sait ? Tiens, je me rappelle même du total : trente hrivnias et cinquante kopeks, montant que la babouchka a écrit sur un morceau de papier, parce que les calculettes, ces machines modernes sont des diableries pour elle. C'est une autre culture.
Le soir, ceux qui y sont allés nous parlent de Sébastopol. Une chose les a choqués : ils allaient visiter un musée où se trouve une grande fresque qui représente la prise de cette ville en 1855 par les alliés (la France, l'Angleterre et la Turquie entre autres). Quand ils ont su que les visiteurs étaient des Français ils ont exigé qu'ils paient l'entrée à double tarif. Dans ce pays ils sont plus rancuniers que dans les chemins de fer !

Samedi :
Nous avons dormi à quatre dans notre chambre, juste pour cette nuit. La famille de Nastia avait peur mais ne devait pas se faire de souci. Eugénie y était très bien. Elle allait y retourner. Ca la faisait rire de voir mon bronzage ou plutôt ma rougeur en forme de marcel, seul vêtement que je supportais par cette chaleur.
Avec mon portable je me suis amusé à explorer la bande FM pour voir combien de stations on reçoit dans cette région. En fait j'en ai capté une seule, ça parlait tout le temps, donc sans intérêt. Ensuite je me suis dit que dans ce pays on n'utilise pas forcément les mêmes plages de fréquences pour les médias que chez nous et que si ça se trouve j'ai écouté ce qui se dit sur un porte-avions ?
Le bus vient nous chercher et nous allons faire un tour de marché à Razdolnoë.
Le premier stand à attirer notre attention étalait entre autres des articles de papeterie. La vendeuse avait un regard maussade parce que j'avais montré à Lucie en riant un éventail qui était déjà abîmé sur l'éventaire. Lulu lui a acheté un cahier dont l'intérêt est d'avoir des lignes différentes de ce qu'on voit chez nous. Moi je me suis acheté un rouleau de PQ. Parce que celui-là il est spécial. Il n'y a pas de moyeu en carton au milieu ce qui fait que je me demande comment ils les fabriquent. A côté de ça le marché fait aussi un peu brocante. On y trouve de quoi faire la joie du bricoleur, de la quincaillerie, des articles ménagers. C'est très fouillis.
Pendant que nous y étions, un truc m'a fait marrer : un type avait garé sa voiture près de l'entrée, c'est interdit. La police est là, c'est la première fois qu'on la voit. Bon le gars va un peu dans leur voiture puis ils reviennent tous les deux. Le policier a un décamètre, il en donne l'extrémité au contrevenant qui la tient contre sa voiture et le déroule jusque devant l'entrée du marché pour mesurer la distance à inscrire sur le PV. L'autre coopère calmement. Pas un mot au dessus de l'autre ! Sont stoïques dans le coin ! La voiture des policiers est récente, en bon état, ils alignent les voitures mal garées près du marché, voilà leur côté moderne, ils ont vite fait de faire comme chez nous pour rentrer de l'argent dans les caisses.
Après ça pourquoi pas faire un tour à l'église toute récente de la ville. A côté de cet édifice le cimetière a d'abord retenu notre attention. Il est peu entretenu. Certaines tombes sont noyées dans la verdure, il faudrait une machette pour se frayer un chemin vers elles. L'entrée est occupée par un énorme monument à la gloire de l'armée rouge.
Devant l'église nous remarquons une icône qui représente St Cyril et St Méthode qui tiennent dans la main un parchemin avec le fruit de leur travail, le fameux alphabet cyrilique, et oui !
A l'intérieur de l'église quelques personnes participent à une cérémonie, il s'agit de plusieurs baptèmes qui sont regroupés pour cette matinée. On voit le pope qui emmène des bébés derrière l'autel par une petite porte et qui revient par une autre ouverture de l'autre côté. Mais c'est juste pour les garçons. Les bébés sont plongés dans une petite baignoire, ils y boivent la première tasse de leur vie. Les fidèles repartent et nous pouvons nous entretenir avec le pope qui nous donne les explications que Youri nous traduit aussitôt. Visiblement il soufre de la chaleur avec sa tenue prévue pour évangéliser la Sibérie mais pas pour des lieux aussi caniculaires. Il s'éponge le front sans cesse. Je crois que ce genre d'édifice religieux convient bien aux geeks avec toutes ces icônes qui donnent envie de cliquer. Dans un coin de l'église se trouve une petite boutique où nous pouvons acheter quelques souvenirs. Les vendeurs (religieux ou non) ont le sourire. C'est que la construction puis la décoration et l'entretien de ce genre de bâtiment doivent coûter bonbon.
Puis nous visitons le jardin qui en est encore à la mise en place avec des fruitiers qui semblent prometteurs. Nous goûtons au cassis local.
Nous gagnons le restaurant qui nous est réservé dans cette ville et qui s'avère plutôt sympa si on n'est pas dérangé par le grand poste de télé à écran plat qui diffuse des clips musicaux. Ils sont du genre à montrer des types au style plutôt mafieux et des femmes dont la profession correspond à une carrière toute tracée si vous voyez ce que je veux dire.
Le mobilier me plaisait bien aussi. On s'asseoit sur des bancs ou des chaises fabriqués à partir de quartiers de bois, ça doit faire son poids ça madame ! Et ça nous fait penser à quelqu'un qui travaille le bois pour réaliser des étagères taillées dans la masse. Je vous le recommande.
Et ce qui était servi nous a plu : des escalopes avec une couche d'omelette à la tomate, pas mauvais du tout.
Nous ressortons, quelques uns ont besoin d'aller à la banque changer de l'argent. Nous croisons un mariage qui a arrêté son cortège de trois voitures pour aller faire quelques photos près de la statue de Lénine. Nous les rejoignons et faisons quelques photos de certains invités qui portent de belles écharpes brodées très finement. Ils posent pour nous avec beaucoup de gentillesse et de grands sourires. En regagnant la place nous voyons notre bus repartir tranquillement pendant que les passagers de l'arrière nous font au revoir avec beaucoup d'humour. Rien de grave ils nous avaient oubliés. Mais nous avons rattrapé le bus qui nous attendait un peu plus loin. On se marre !
L'après-midi au motel est consacré à une de ces siestes réparatrices pour lesquelles la chaleur nous fournit un bon prétexte. Avant d'aller à la mer il faut que je pense à me mettre de la crème solaire si je ne veux pas ressembler à une chipolata le soir. Au moment d'y aller nous voyons Eugénie arriver avec Nastia et sa famille. Des amis à eux nous rejoignent et nous partons à deux voitures vers une autre plage isolée après avoir roulé sur des pistes où l'arrière tape parfois du bas de caisse. Mais bon, la Lada c'est du costaud. Baignade en famille dans une eau toujours aussi chaude. Sergueï et Nastia se sont amusés à plonger pour pêcher des bernard lermites qu'on s'est amusé ensuite à photographier de près pour essayer cette fonction des appareils.
Nous leur avons montré notre motel et nous avons bien progressé sur le plan de la communication grâce aux progrès que nous faisons pour utiliser les gestes. Le mime Marceau en ferait un complexe.

 

Les Meusiens en Crimée (3)

Le lever se fait à cinq heures du matin pour la première excursion programmée par nos hôtes ukrainiens. A mesure que nous avançons, après avoir longé le bord de mer, nous voyons une évolution du paysage. Les premiers reliefs se présentent devant nous, nous faisons une petite pause. Ensuite une longue descente nous mène (pas tout droit) à Baktchissaraï. Le bus se gare et ce que je vois devant ressemble davantage à un minaret qu'à une fusée Soyouz. Tiens il y a des toilettes publiques payantes ; on sent la montée de la pression touristique. Ce n'est pas encore le défilé de bus de Japonais mais niveau fréquentation ça commence à donner pas mal.
Nous avons donc visité le palais des Khans avec une toute petite guide, Youri nous traduisait les explications, le tout faisait durer le plaisir. Je n'ai pas chronométré mais cela nous a paru un peu long. Je me suis marré en voyant les hauts talons de la guide. Elle me rappelait une surveillante du même gabarit que je faisais se ranger avec les mômes du collège.
Le bus nous amène ensuite vers une vallée ancaissée, rocheuse, la chaleur y est intenable. Un four à micro ondes ! Ca commence à râler dans les rangs mais les profs de danse ukrainiennes insistent tellement que nous finissons par y aller avant qu'elles ne nous lâchent des bergers allemands pour nous persuader de marcher. Et le sentier monte bien le long de la paroi rocheuse, il y a un monastère à voir au bout. J'ai pas fait la légion je ne suis donc pas spécialement entraîné pour de telles ascensions en plein cagnard mais j'ai une réserve d'eau dans le sac à dos. On visite une petite église orthodoxe taillée dans la roche après quelques modifications de la tenue pour les dames : quelque chose sur la tête, même un casque de soudeur à l'arc pourrait faire l'affaire et surtout cacher les guiboles avec un tissu à fleurs homologué bonne-soeur de la santa dolorosa tyrolienne. On y croise pas mal de pélerins qui font le signe de croix à l'envers et qui embrassent des icônes qui sont présentées en libre service pour cet usage.
Encore un petit coup de bus jusqu'à un restaurant qui est cette fois dans un bâtiment moderne comme ceux qu'on voit chez nous avec une salle qui conviendrait bien pour des repas de mariages. Pour le Khanat de Baktchissaraï ce ne serait pas abuser d'ailleurs. On a tant entendu parler des noces de Khanat ! (je vais me faire taper)
On nous avait alléchés en nous annonçant qu'on y découvrirait des spécialités Tatares (attention, les Tartares c'est un autre peuple, je n'ai pas fait de faute). En fait après les crudités de l'entrée nous avons eu droit à deux petites boulettes de viandes pommes vapeur. Pas de quoi en faire un repas de noces. La propreté des toilettes, comme le bâtiment nous a rappelé la France.
Le bus est resté en plein soleil. D'après Youri qui a mesuré, il y fait cinquante cinq degrés. Comme dans ce pays on est pauvre, le chauffeur attend que tout le monde y soit monté pour lancer le moteur et actionner la climatisation. Les vitres n'ont pas d'ouverture. Voilà comment on reperd aussitôt le kilo qu'on a pris au restaurant. Nous roulons jusqu'au bord de la mer là où se trouve un monument à la gloire de l'Armée Rouge. Celle-ci y avait mené un combat mémorable contre les nazis. Les mariages locaux y passent pour y déposer des fleurs et faire quelques photos ; on est resté très patriote dans le secteur.
Allez hop, tout le monde (ou presque) à l'eau ! Une façon plus vivable de terminer cette journée que d'aller explorer cette vallée de la mort pour y voir des maisons troglodites comme c'était prévu après le monastère.
Le soir en déposant les enfants à Razdolnoë nous faisons quelques courses dans un petit libre-service et achetons quelques glaces pour satisfaire une brutale envie de fraîcheur et notre gourmandise par la même occasion. Les caissières y sont désagréables en réclamant de la monnaie alors que ce n'est pas évident pour nous.
De retour au motel nous partageons le pain de l'amitié reçu la veille à Razdolnoë. Il fait davantage penser à de la brioche. Normalement ce qui était prévu pour la suite c'était d'être reçu dans les familles d'accueil de nos enfants, on doit venir nous chercher. Nous avons attendu un certain temps à cause d'un malentendu mais nous vîmes soudain Eugénie nous rejoindre au motel avec Anastasia. Euh, nous allons être combien dans la voiture ? Pas de problème. Sergueï nous attend devant l'entrée avec sa Lada. Nous partons donc à six : l'aventure c'est l'aventuuuuuureuh ! Nous ne mettons pas la ceinture de sécurité, on ne sait jamais ça pourrait vexer le chauffeur, lui montrer un certain manque de confiance. Le temps d'arriver chez lui il fait nuit donc il n'est pas possible d'avoir un aperçu de sa maison. La porte d'entrée est une planche et nous gravissons un escalier qu'on voit chez nous dans les anciens greniers tout en planches. L'appartement est quant à lui très correct, nous sommes chez quelqu'un qui gagne correctement sa vie pour la région. Comme nous l'avait dit Anastasia, il est plombier et a donc des aptitudes manuelles pour améliorer son cadre de vie. Nous apprendrons par la suite que les autres jeunes Français n'ont pas eu la chance d'Eugénie. Ils ont une belle salle de bains et leur cuisine est la même que celle du ménage occidental moyen. Il y a bien une télé sur le four à micro ondes pour ne pas louper un épisode des feux de l'amour (Молоді та зухвалі). Le salon assez grand est bien équipé en matériel audio visuel et informatique contre un pan de mur et paraît un peu vide avec de l'autre côté une banquette et un fauteuil.
Nous avons donc mangé dans la cuisine un peu serrés. Mais je peux vous assurer que nous nous sommes régalés ! J'avais peur que Sergueï me pousse à boire, crainte superflue, il aime le coca. En entrée salade russe, puis une spécialité à base de fromage et pour couronner tout ça, le fameux chachlik. J'avais vu ça dans un reportage à la télé. Quand un Russe (ils sont d'origine russe) t'invite à y goûter c'est qu'il met le paquet. Surtout en Crimée et je me suis demandé où il avait pu trouver la viande. Ensuite nous sommes passés voir l'ordinateur grâce auquel on avait pu communiquer avec eux. Une belle machine ! Ils nous ont montré des photos d'endroits où ils aimeraient nous emmener grâce à une deuxième voiture. Il y a des endroits fabuleux, vraiment pittoresques. Puis nous avons lancé Skype et pu après plusieurs essais joindre Romain qui était chez des copains. Comme ça nous avons pu lui donner quelques nouvelles.
Nos échanges ont été chaleureux avec la famille de Nastia (diminutif d'Anastasia) malgré la barrière de la langue ; heureusement la maman parle un peu Anglais et puis nous avions le traducteur fourni par l'ordinateur avec ses résultats parfois un peu cocasses mais exploitables. Anastasia a une petite soeur, Maria, ce qui donne Macha qui lui ressemble beaucoup et un petit frère Tiomas. Nous nous sommes donc promis de nous revoir. Sergueï nous ramène au motel avec sa voiture en passant un court instant par la station-service toute neuve qui reste allumée assez tard, je suppose. En fait il a dû prendre la quantité d'essence nécessaire pour faire cet aller-retour. Comme la plupart de ses concitoyens il calcule tout au plus juste pour ses dépenses.
Je ne connais pas beaucoup le son de sa voix à Sergueï ! Il est du genre timide.
Voilà une journée qui s'est terminée assez tard, heureusement le lendemain nous ne faisons pas de longue sortie.

 

Les Meusiens en Crimée (2)

Le matin chacun choisit de prendre son petit déjeuner comme il l'entend. Comme j'aime le café je le prend sous la tonnelle avec d'autres personnes de notre groupe. Je me rends compte que je ne suis pas le seul à n'émerger qu'après avoir copieusement déjeuné. C'est sacré. Après on est apte à communiquer, pas avant, c'est comme ça. Et puis c'est la première conversation de la journée avec des personnes intéressantes.
Une bonne douche, c'est possible lorsqu'on a trouvé la discrète petite vanne qui ferme l'arrivée d'eau chaude. Il faut juste se savonner énergiquement, ça a du mal à mousser. On nous avait prévenu que l'eau était spéciale et pour tout dire, un peu salée, saumâtre, quoi. On utilise de l'eau minérale pour se laver les dents comme dans bien des pays où le climat est plutôt chaud. Faire du café avec cette eau est une expérience intéressante, même que je me suis dit qu'une fois à la maison je rajouterais bien une petite pincée de sel pour retrouver ce goût unique, mais à vrai dire on finit par s'en lasser.
On saute dans le bus et on peut enfin découvrir ce paysage nouveau. A première vue et même si on insiste lourdement, c'est aussi plat qu'un discours d'un député de province avec des champs dont on ne voit pas la fin ou de la steppe. Les routes sont assez pourries avec un revêtement très rugueux, mal étalé, irrégulier. Mais les véhicules du cru y sont adaptés, ils sont pourris aussi. On constate très vite que la maison Lada y a fait un carton. De bonnes voitures lorsqu'elles étaient neuves, n'en doutons pas mais le temps passe. Introduire le contrôle technique dans ce pays équivaudrait à stopper la quasi totalité de la circulation routière.
Nous arrivons à Razdolnohé et nous constatons que le bâtiment devant lequel nous avions laissé nos élèves se trouve au milieu d'une ville de huit mille habitants. La veille nous n'avions rien vu comme si cet immeuble s'était trouvé en plein désert ; il n'y a pas d'éclairage public la nuit.
Le bâtiment qu'on supposera communal sert pour les réceptions et dispose d'une belle salle de spectacle d'époque. Nous y sommes reçus par un chant de trois jolies petites demoiselles en costume local et qui font quelques gracieux pas de danse en signe de bienvenue. Puis Héléna la directrice de l'école de danse du lieu offre à Armelle le pain de l'amitié et une écharpe de toile blanche ornée de broderies raffinées. Quelques boissons fraîches justifient de très bons gâteaux qui sont offerts à tous.

Après ça on découvre Razdolnoë, on va tout d'abord à la banque changer de l'argent. C'est un bâtiment plus moderne et il y a la clim'. Là on ressort avec des liasses de billets de monopoly. On visite le magasin d'Etat en forme de temple grec avec le marteau et la faucille sur le fronton. L'intérieur est sombre mais le plafond porte un décor d'inspiration végétale un peu exubérant. Le premier réflexe est de se précipiter sur les packs d'eau minérale, mais comment distinguer l'eau gazeuse de l'eau plate ? L'étiquette des bouteilles ne permet pas de lever le moindre doute. Mais deux expressions nous sauvent : gas, niet gas.
Quand elle a vu la liasse de biftons que j'ai sortie pour payer, la babouchka vendeuse voulait me suivre jusqu'au bus pour me porter mon pack d'eau.
Sur le trajet du bus qui nous ramène vers le motel nous faisons un arrêt pour acheter quelques fruits au bord de la route. Là c'est des vraies moujiks qui nous proposent des produits des vergers qui s'étalent derrière elles. En les goûtant (les fruits) on se rend compte de la chance que nous avons de pouvoir disposer de fruits qui ont mûri sur l'arbre ; les pêches sont tellement juteuses qu'il vaut mieux se mettre en maillot de bain pour les déguster. Les abricots, vous n'allez pas me croire mais ils ont vraiment le goût de l'abricot. On se dit qu'on se fait peut-être du mal en y goûtant parce qu'on ne retrouvera pas les mêmes dans le commerce en France et on les regrettera.
En même temps on prend conscience qu'il ne faut pas rester trop longtemps en plein soleil malgré nos protections car le risque d'insolation est bien réel.
De retour à la petite station balnéaire où se trouve notre motel nous découvrons le petit restaurant. Il nous apparaît aussitôt assez sympathique et la nourriture servie plutôt saine avec des crudités puis un bol de bortsch que nous découvrons et qui nous réjouit. j'ai oublié de noter combien nous avons réglé ce repas, j'aurais dû. Nous empruntons le chemin qui mène au motel et prenons le temps de nous arrêter auprès de messieurs qui paraissent bien joyeux à l'ombre d'un abricotier. Ils nous proposent de goûter à la liqueur qu'ils dégustent. En pleine chaleur comme ça, est-ce bien prudent ? Et puis ils essaient de nous faire comprendre que cette boisson ne contient pas d'alcool, à les voir nous émettons de sérieux doutes. A cette heure-ci il vaut mieux rentrer dare dare au motel à l'abri du soleil. Là un petit courant d'air venu de la mer nous fait du bien, les chambres sont des vrais fours et la clim' ne fonctionne pas suffisamment longtemps avant de faire disjoncter l'installation. J'ai une envie de glace, là maintenant, tout de suite, là ! Si un marchand de glace passe par là je lui achète le camion.
Cet après midi là on négocie le prix des chambres. C'est pas comme en France où les prix sont fixés et affichés. Nous découvrons la propriétaire du motel, une Russe pas maigrichonne, c'est le moins qu'on puisse dire. Si elle tombe par terre, elle provoque un déplacement de l'axe de rotation de la terre, un cataclysme potentiel. L'âpreté de la négociation en dit long sur son âpreté au gain. Bien sûr si on a négocié un prix au préalable, pourquoi faut-il faire intervenir le taux de change du jour entre l'Euro et le Grhivnia ? Et ça dure jusqu'à ce que l'on convienne de régler un supplément sur ce qui était convenu. Nous réglons notre séjour de suite pour ne pas voir le prix évoluer encore.
En fin d'après-midi, lorsque la température devient supportable, nous allons à la plage. C'est du sable un peu grossier mêlé de petits morceaux de coquillages. Le bord de l'eau est tapissé d'une sorte de foin noir qui nous rebute au premier abord puis se révèle doux au toucher, sans odeur. On peut en faire un tas pour s'asseoir. Finalement ce n'est pas gênant. L'autre surprise est la température de l'eau, on y entre sans hésitation tant elle est chaude. Elle ne nous raffraîchit pas mais on y est si bien. On pense à Thermapolis.
Le littoral est assez sauvage, il est occupé en grande partie par des bâtiments d'élevage abandonnés. En contrebas se trouvent des petits cabanons dont les plus neufs servent de résidences de vacances. Sur la plage on n'est pas serré, on peut s'étaler même au point le plus fréquenté. C'est le début de l'exploitation touristique du site, je pense que si nous revenons dans quelques années nous risquons de ne plus reconnaître l'endroit.
En tout cas la plage est déjà arpentée par des vendeurs de spécialités locales dont le poisson fumé qui embaume, une des gourmandises des vacanciers de l'est européen.
J'allume mon téléphone et il met un temps fou à se connecter sur le réseau local :
KYIVSTAR (l'étoile de Kiev).

 

Les Meusiens en Crimée (1)





Depuis quelque temps je me répétais mentalement le moment où le réveil allait s'activer pour me tirer du sommeil, top de départ pour la grande aventure, signal du passage à l'action. Et bien sûr il y a eu une petite surprise, rien de grave, juste pour montrer que les choses jusque dans les petits détails ne se passent jamais comme prévu. Au lieu de la chanson débile ou du commentaire inintéressant de l'animateur radio du petit matin, j'avais juste droit au chuintement qu'émet Europe1 la nuit quand les émissions sont finies. En même temps à trois heures du matin seuls les services publics, même lorsqu'ils sont en grève (en radio c'est là qu'ils sont les meilleurs) assurent la continuité du ruisseau sonore qui nous isole de ce silence sifflant,angoissant pour les plus fragiles d'entre nous.

Et voilà, il est trois heures du matin et c'est parti. Les valises et les sacs sont prêts, ça fait trois jours qu'on vérifie et qu'on revérifie le tout. Et chacun a sa pochette avec les passeports et du liquide pour ne pas mettre tout dans le même sac, être moins vulnérable car c'est comme si on partait pour une guerre où tout peut arriver. Ah ces fameuses pochettes de tissu jaune acheté au marché qu'Agnès a cousues, sortant pour la circonstance sa machine à coudre qu'elle utilise aussi souvent que je sors ma caisse à outils de la poussière !

Bon, il semble que rien ne manque, on charge la voiture avec les valises selon le plan de chargement établi la veille après essais pour s'assurer que tout rentre. En effet, les valises prennent place dans le coffre s'ajustant les unes aux autres en un tangram en trois dimensions ne laissant à la fin aucune place pour mettre une boîte d'allumettes. Notre trajet jusqu'au bus a déjà été préparé comme un vol de la NASA.
Et une phrase retentissait régulièrement, reprise aussi par Romain pour se moquer de nous : "Vous avez bien vos passeports ?"
Le trajet en bus parut assez long à cause de ces plaines aux grands champs qui rendent monotone la traversée du département de la Marne. Nous arrivons enfin à Roissy dans cet aérogare que j'avais vu sortir de terre à la fin des années 70. La descente du bus est suivie par cette file indienne de voyageurs tirant des valises aussi grosses qu'eux faisant penser à des fourmis qui s'affairent près du nid avec leur chargement.
Une certaine fébrilité nous gagne. Quelqu'un sait-il vers quelle entrée il faut se diriger ? Il semble que oui, le cortège avance d'un pas décidé mais marque l'arrêt après le premier ascenseur. Où est le reste du groupe ? Pourquoi met-il autant de temps à nous rejoindre dans le hall ? Ah voilà ! Ca y est, on sait ! Solène ne retrouve pas son passeport. Elle vient de retourner toute sa valise ! Pas moyen de remettre la main dessus ! Elle est en larmes. Est-il tombé dans le bus ? Appel du chauffeur qui ne peut pas répondre tout de suite, il conduit sur le retour vers Nancy. Suspens ! Réponse ! Pas de passeport ! Il n'est pas dans le bus. Comment passer la première barrière qui se présente à la porte de la PAF (Police de l'Air et des Frontières) ?
Tractations. Le passage sans papiers est rigoureusement impossible. Toute négociation est inutile.
Nous progressons vers l'enregistrement des bagages avec plusieurs fois l'impression que les choses se sont arrangées, mais non. C'est définitif. Nous partirons sans elle, elle restera à l'aérogare, ses parents viendront la chercher.
Nous passons assez rapidement les contrôles de sécurité, un portique et un passage aux rayons des bagages à main, ces formalités nous les connaissions déjà pour avoir un jour visité le palais de justice de Paris et peut-être à d'autres endroits. Il faut passer le portique en tenant son pantalon, la ceinture ayant droit à une radio des poumons.
Et nous voici dans le hall d'embarquement avec une certaine émotion. Je voudrais bien faire des photos. Mais il me revient en mémoire un incident survenu en gare de Commercy. C'était le jour où nous étions en train de raccompagner des correspondantes allemandes sur le retour vers Bonn. Un gros monsieur avec une belle casquette SNCF toute neuve s'adressa à moi en me rappelant qu'il était interdit de faire des photos dans une gare. Des fois que ce serait pour préparer un attentat terroriste, voyez-vous ! Je risquais une amende mais il était ce jour là grand seigneur et plein de mansuétude. Bon, si déjà dans une gare ça pose problème, alors dans un aéroport... C'est lorsque j'ai vu des membres de notre groupe faire flasher leurs appareils sans que le personnel chargé de la sécurité ne leur sorte dessus avec les crocs en avant que je me suis décidé à en faire autant.





Il eût été quand-même dommage de ne pas avoir d'image en souvenir de cette attente excitante du vol promis dans les airs. Dehors il fait un temps qui pourrait faire croire que le ciel d'Ile de France fond en larmes à nous voir partir. L'affichage annonce d'abord un retard du vol puis un second pour finir par l'embarquement immédiat ce qui dans notre langue signifie : "ça y est, on y va !"

On prend place dans l'avion après avoir au passage admiré le sourire des hôtesses. Il se met à rouler (l'avion) empruntant le taxi way qui enjambe des bretelles routières sur lesquelles je m'amusais autrefois lorsque je passais sous un aéronef. On gagne la piste puis notre autobus des airs prend soudain de la vitesse, on le sent décidé, on est aspiré dans son siège, on décolle. En regardant autour de soi on distingue ceux qui prennent l'avion souvent et ceux qui en sont au baptème de l'air, c'est pas le même regard, voire pour certains un début de panique. Ca monte ! Notre vaisseau montre de la détermination à prendre de l'altitude. On franchit la couche de nuages et les hublots commencent à diffuser une lumière d'aube prometteuse. Nous sommes au dessus des nuages mais cela ne semble pas suffire à notre oiseau nerveux qui continue à monter. Nous sommes maintenant loin au dessus de cette maudite couche cotonneuse qui nous maintenait dans une sorte de semi obscurité pendant des semaines (ça doit cailler dehors !) Finalement les avions nous emmènent au soleil en moins de deux minutes. Les voyageurs commencent à prendre leurs aises, on circule, on se dirige vers les toilettes, on va voir les autres pour papoter. C'est un aimable va et vient décontracté entre les rangées de sièges. Ma voisine, une dame plus qu'habituée à ce mode de transport, tue le temps en faisant des mots croisés du genre que j'aime faire aussi. Il ne faut pas que ça soit trop ardu ; personnellement ceux qui sont difficiles, je les réserve pour les fins de repas à la maison. J'ai horreur de ceux qui nécessitent d'avoir à portée de mains le Robert en vingt volumes pour aller chercher le nom d'une flaque d'eau qui se trouve en Roumanie ou d'un clampin qui tenait le drapeau à la bataille de machinchose. Moi je préfère ceux qui sont plein d'astuces, de jeux de mots, de trouvailles qui jonglent avec les sens différents que peut avoir chaque mot. Exemple : c'est en grimpant qu'il devint célèbre ; solution : Dagobert (Hé fallait la trouver, celle là !) Oui ça peut être très marrant les mots croisés.
On nous distribue des boîtes. J'aime bien les paquets surprises. Ah, on va jouer à la dînette ! Dans une autre boîte en alu on découvre un peu de riz, du maïs et une viande en sauce. Les couverts en plastique sont assez solides pour qu'on puisse s'en servir mais pas assez pour pouvoir détourner l'avion vers un restaurant où on sert du plus copieux. Alors on fait avec. Un gobelet de café fait descendre tout ça et comme dit ma voisine : "je m'attendais à pire". En effet, dans certains établissements parisiens, du genre Hôtel du pou caractériel et du cafards réunis on a droit à un liquide que j'utiliserais plutôt comme traitement contre les pucerons sur mes groseillers.





Tiens la couche nuageuse qui s'étalait en dessous de nous et qui semble avoir pour vocation de recouvrir définitivement toute l'Europe occidentale, se disloque, il aurait fallu frapper les trois coups comme au théâtre juste avant car nous découvrons le sol de l'Ukraine avec d'immenses forêts, des lacs et des groupes de maisons qui se pelotonnent dans les interstices. On descend là, maintenant c'est sûr. On voit la piste devant. On se pose. On descend les marches, on veut faire des photos mais on se fait houspiller dans un jargon incompréhensible mais chantant émis par un type qui porte un uniforme plus clair et mieux décoré que celui d'un chef de gare. Le monsieur veut qu'on monte très vite dans la navette qui doit nous mener à l'aérogare. Mais c'est quoi cette chaleur qui nous tombe dessus sans prévenir ? Ah il nous a pas fallu longtemps pour apprécier la climatisation du hall d'accueil ! On fait la queue pour montrer son passeport à une personne robotisée qui fait toujours les mêmes gestes lentement avec une sorte de lassitude de fonctionnaire aguerri. On récupère les valises, on les charge sur un charriot et hop c'est parti pour un gimkana à travers le parking pour regagner l'aérogare de départ vers la Crimée. A peine remarquons-nous les taxis qui accourent comme les canards d'un étang quand on y jette des croûtons de pain. Ils semblent moins luxueux (les taxis) que ceux qu'on voit en France mais ça ne saute pas aux yeux.





Dans le hall des départs nous regroupons nos valises en cercle pour que les indiens qui voudraient nous attaquer puissent tourner autour. Et nous cherchons à nous raffraîchir d'autant plus que cet endroit n'est pas climatisé, ça nous avons vite vu la différence. On se ravitaille en eau fraîche mais mon sac à dos est déjà plein avec deux kilos de madeleines et deux kilos de savaroises, les Meusiens en voyage emportent leur oxygène avec eux. C'est l'occasion d'échanger davantage avec les autres parents accompagnateurs, bien sympathiques. Les dames cherchent de la boisson, je garde les valises, je regarde les Ukrainiennes. Il y en a qui sont à tomber par terre. J'imagine qu'ici, pour se promener en ville il vaut mieux avoir un chien d'aveugle pour nous éviter de heurter tous les poteaux, notre regard étant déjà assez captivé par ces magnifiques gazelles qui parcourent les rues d'un pas alerte (je vais avoir les féministes sur le dos). On change des Euros en monnaie locale, le Hrivna qu'on découvre assez exotique avec des portraits d'inconnus du genre guerrier de Charlemagne, une princesse très gracieuse ou un prince du genre musulman, une espèce de Khan,quoi ( nous apprendrons par la suite que la Crimée était autre fois avec les Tatars un pays de Khans, il y a certainement eu des petits Khans, des grands Khans).
Le deuxième vol se fait dans un avion plus récent que le premier avec une voisine plus jeune que la précédente et cette fois c'est moi qui fais ma grille de mots croisés. On partage une certaine bonne humeur dans cette rangée de sièges. Dehors le soleil se couche et on entrevoit le paysage du sud de l'Ukraine avec ses champs circulaires au milieu de la steppe semblables à ceux qui existent dans les zones désertiques du Maghreb. On nous sert une boisson, jus de fruit ou eau minérale puis un petit chausson fourré à ... On mord dedans en se disant qu'à la bouchée suivante peut-être... D'après le guide il se pourrait que ce soit de la kacha, bouillie de céréales. Ce même guide dit qu'après un certain temps on s'y fait et que cette bouillie n'est pas aussi insipide qu'elle le paraît. Bah quand on accepte de vivre dangereusement on s'habitue à tout. On se pose à Simféropol, notre avion roule longuement et on est intrigué par les longs bâtiments qui longent le taxi way. Il fait fin nuit quand on descend. Le décallage horaire n'est que d'une heure mais ne compense pas, il fait nuit plus tôt que chez nous. Plus tard nous verrons qu'il fait jour le matin dès quatre heures, heure locale bien sûr.
Nous récupérons nos bagages dans un lieu abrité mais ouvert à tous les vents et qui nous donne l'impression d'arriver à la gare de Toul.










Il fait encore assez chaud. A la sortie nous sommes accueillis par une apparition qui ne valait peut-être pas de se mettre à genoux avec un chapelet mais a provoqué de nombreuses embrassades chaleureuses et beaucoup d'enthousiasme. Hosannah ! Premier contact avec Nathalie notre guide (la place rouge était vide...) et retrouvé Lisa une prof de l'école de danse ukrainienne. Nous montons dans un bus qui a dû avoir son heure de gloire un jour, mais au moins il a des rideaux tout neufs dans des couleurs criardes. On comprend direct que ce n'est pas la peine de chercher les ceintures. On quitte l'aéroport et assez vite on constate que dehors il n'y a pas d'éclairage public. On roule dans la nuit, après quelques kilomètres on s'arrête. Nathalie descend vers un bâtiment qu'on devine, éclairé par une mince lueur. Elle revient après quelques minutes avec des bouteilles d'eau minérale. Et nous nous abreuvons, l'eau est devenue un besoin permanent depuis notre arrivée à Kiev.
Le voyage reprend et on comprend que ce n'est pas maintenant qu'on va pouvoir dormir car l'urgence à ce moment est plutôt de se cramponner.
Après un long trajet nous arrivons devant un bâtiment qui semble officiel avec de larges portes vitrées surmontées d'un auvent de béton. Nous le voyons parce qu'une lueur en sort. Nous y retrouvons les jeunes Ukrainiens qui étaient venus chez nous et leurs parents. Nous voyons enfin en chair et en os la maman d'Anastasia avec laquelle nous avions tenté de communiquer avec l'ordinateur malgré la barrière de la langue. J'échange une très chaleureuse poignée de mains avec Sergueï le papa que j'avais à peine entr'aperçu sur l'écran de notre ordinateur familial.
Nous repartons pour une demi heure et nous arrivons au motel. Il paraît bien plus confortable que ce que nous avions imaginé. Il est fermé sur l'extérieur donc sécurisé. Nous traversons le petit village à pied pour nous rendre au petit restaurant, nous nous sentons vraiment en vacances. Il est fermé mais juste à côté une petite discothèque en entrée libre nous invite à nous amuser, nous préférons nous replier vers le motel. Nous mettons la clim en marche (il est plus de vingt-deux heures) mais après quelques minutes nous n'avons plus d'électricité. En fait si les chambres sont climatisées, l'installation électrique n'est pas dimensionnée pour une utilisation simultanées dans toutes les chambres. Nous disposons aussi de téléviseurs pour le cas où nous souhaiterions voir les feux de l'amour en Ukrainien. Bof !
N'oublions pas les lits qui ne sont pas ce qu'on fait de plus sophistiqué en la matière. Un matelas de cinq centimètres d'épaisseur recouvre une planche d'aggloméré posée sur un cadre de bois. Nous verrons par la suite qu'on y dort finalement aussi bien qu'à la maison.


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