16 août 2011

 

Les Meusiens en Crimée (1)





Depuis quelque temps je me répétais mentalement le moment où le réveil allait s'activer pour me tirer du sommeil, top de départ pour la grande aventure, signal du passage à l'action. Et bien sûr il y a eu une petite surprise, rien de grave, juste pour montrer que les choses jusque dans les petits détails ne se passent jamais comme prévu. Au lieu de la chanson débile ou du commentaire inintéressant de l'animateur radio du petit matin, j'avais juste droit au chuintement qu'émet Europe1 la nuit quand les émissions sont finies. En même temps à trois heures du matin seuls les services publics, même lorsqu'ils sont en grève (en radio c'est là qu'ils sont les meilleurs) assurent la continuité du ruisseau sonore qui nous isole de ce silence sifflant,angoissant pour les plus fragiles d'entre nous.

Et voilà, il est trois heures du matin et c'est parti. Les valises et les sacs sont prêts, ça fait trois jours qu'on vérifie et qu'on revérifie le tout. Et chacun a sa pochette avec les passeports et du liquide pour ne pas mettre tout dans le même sac, être moins vulnérable car c'est comme si on partait pour une guerre où tout peut arriver. Ah ces fameuses pochettes de tissu jaune acheté au marché qu'Agnès a cousues, sortant pour la circonstance sa machine à coudre qu'elle utilise aussi souvent que je sors ma caisse à outils de la poussière !

Bon, il semble que rien ne manque, on charge la voiture avec les valises selon le plan de chargement établi la veille après essais pour s'assurer que tout rentre. En effet, les valises prennent place dans le coffre s'ajustant les unes aux autres en un tangram en trois dimensions ne laissant à la fin aucune place pour mettre une boîte d'allumettes. Notre trajet jusqu'au bus a déjà été préparé comme un vol de la NASA.
Et une phrase retentissait régulièrement, reprise aussi par Romain pour se moquer de nous : "Vous avez bien vos passeports ?"
Le trajet en bus parut assez long à cause de ces plaines aux grands champs qui rendent monotone la traversée du département de la Marne. Nous arrivons enfin à Roissy dans cet aérogare que j'avais vu sortir de terre à la fin des années 70. La descente du bus est suivie par cette file indienne de voyageurs tirant des valises aussi grosses qu'eux faisant penser à des fourmis qui s'affairent près du nid avec leur chargement.
Une certaine fébrilité nous gagne. Quelqu'un sait-il vers quelle entrée il faut se diriger ? Il semble que oui, le cortège avance d'un pas décidé mais marque l'arrêt après le premier ascenseur. Où est le reste du groupe ? Pourquoi met-il autant de temps à nous rejoindre dans le hall ? Ah voilà ! Ca y est, on sait ! Solène ne retrouve pas son passeport. Elle vient de retourner toute sa valise ! Pas moyen de remettre la main dessus ! Elle est en larmes. Est-il tombé dans le bus ? Appel du chauffeur qui ne peut pas répondre tout de suite, il conduit sur le retour vers Nancy. Suspens ! Réponse ! Pas de passeport ! Il n'est pas dans le bus. Comment passer la première barrière qui se présente à la porte de la PAF (Police de l'Air et des Frontières) ?
Tractations. Le passage sans papiers est rigoureusement impossible. Toute négociation est inutile.
Nous progressons vers l'enregistrement des bagages avec plusieurs fois l'impression que les choses se sont arrangées, mais non. C'est définitif. Nous partirons sans elle, elle restera à l'aérogare, ses parents viendront la chercher.
Nous passons assez rapidement les contrôles de sécurité, un portique et un passage aux rayons des bagages à main, ces formalités nous les connaissions déjà pour avoir un jour visité le palais de justice de Paris et peut-être à d'autres endroits. Il faut passer le portique en tenant son pantalon, la ceinture ayant droit à une radio des poumons.
Et nous voici dans le hall d'embarquement avec une certaine émotion. Je voudrais bien faire des photos. Mais il me revient en mémoire un incident survenu en gare de Commercy. C'était le jour où nous étions en train de raccompagner des correspondantes allemandes sur le retour vers Bonn. Un gros monsieur avec une belle casquette SNCF toute neuve s'adressa à moi en me rappelant qu'il était interdit de faire des photos dans une gare. Des fois que ce serait pour préparer un attentat terroriste, voyez-vous ! Je risquais une amende mais il était ce jour là grand seigneur et plein de mansuétude. Bon, si déjà dans une gare ça pose problème, alors dans un aéroport... C'est lorsque j'ai vu des membres de notre groupe faire flasher leurs appareils sans que le personnel chargé de la sécurité ne leur sorte dessus avec les crocs en avant que je me suis décidé à en faire autant.





Il eût été quand-même dommage de ne pas avoir d'image en souvenir de cette attente excitante du vol promis dans les airs. Dehors il fait un temps qui pourrait faire croire que le ciel d'Ile de France fond en larmes à nous voir partir. L'affichage annonce d'abord un retard du vol puis un second pour finir par l'embarquement immédiat ce qui dans notre langue signifie : "ça y est, on y va !"

On prend place dans l'avion après avoir au passage admiré le sourire des hôtesses. Il se met à rouler (l'avion) empruntant le taxi way qui enjambe des bretelles routières sur lesquelles je m'amusais autrefois lorsque je passais sous un aéronef. On gagne la piste puis notre autobus des airs prend soudain de la vitesse, on le sent décidé, on est aspiré dans son siège, on décolle. En regardant autour de soi on distingue ceux qui prennent l'avion souvent et ceux qui en sont au baptème de l'air, c'est pas le même regard, voire pour certains un début de panique. Ca monte ! Notre vaisseau montre de la détermination à prendre de l'altitude. On franchit la couche de nuages et les hublots commencent à diffuser une lumière d'aube prometteuse. Nous sommes au dessus des nuages mais cela ne semble pas suffire à notre oiseau nerveux qui continue à monter. Nous sommes maintenant loin au dessus de cette maudite couche cotonneuse qui nous maintenait dans une sorte de semi obscurité pendant des semaines (ça doit cailler dehors !) Finalement les avions nous emmènent au soleil en moins de deux minutes. Les voyageurs commencent à prendre leurs aises, on circule, on se dirige vers les toilettes, on va voir les autres pour papoter. C'est un aimable va et vient décontracté entre les rangées de sièges. Ma voisine, une dame plus qu'habituée à ce mode de transport, tue le temps en faisant des mots croisés du genre que j'aime faire aussi. Il ne faut pas que ça soit trop ardu ; personnellement ceux qui sont difficiles, je les réserve pour les fins de repas à la maison. J'ai horreur de ceux qui nécessitent d'avoir à portée de mains le Robert en vingt volumes pour aller chercher le nom d'une flaque d'eau qui se trouve en Roumanie ou d'un clampin qui tenait le drapeau à la bataille de machinchose. Moi je préfère ceux qui sont plein d'astuces, de jeux de mots, de trouvailles qui jonglent avec les sens différents que peut avoir chaque mot. Exemple : c'est en grimpant qu'il devint célèbre ; solution : Dagobert (Hé fallait la trouver, celle là !) Oui ça peut être très marrant les mots croisés.
On nous distribue des boîtes. J'aime bien les paquets surprises. Ah, on va jouer à la dînette ! Dans une autre boîte en alu on découvre un peu de riz, du maïs et une viande en sauce. Les couverts en plastique sont assez solides pour qu'on puisse s'en servir mais pas assez pour pouvoir détourner l'avion vers un restaurant où on sert du plus copieux. Alors on fait avec. Un gobelet de café fait descendre tout ça et comme dit ma voisine : "je m'attendais à pire". En effet, dans certains établissements parisiens, du genre Hôtel du pou caractériel et du cafards réunis on a droit à un liquide que j'utiliserais plutôt comme traitement contre les pucerons sur mes groseillers.





Tiens la couche nuageuse qui s'étalait en dessous de nous et qui semble avoir pour vocation de recouvrir définitivement toute l'Europe occidentale, se disloque, il aurait fallu frapper les trois coups comme au théâtre juste avant car nous découvrons le sol de l'Ukraine avec d'immenses forêts, des lacs et des groupes de maisons qui se pelotonnent dans les interstices. On descend là, maintenant c'est sûr. On voit la piste devant. On se pose. On descend les marches, on veut faire des photos mais on se fait houspiller dans un jargon incompréhensible mais chantant émis par un type qui porte un uniforme plus clair et mieux décoré que celui d'un chef de gare. Le monsieur veut qu'on monte très vite dans la navette qui doit nous mener à l'aérogare. Mais c'est quoi cette chaleur qui nous tombe dessus sans prévenir ? Ah il nous a pas fallu longtemps pour apprécier la climatisation du hall d'accueil ! On fait la queue pour montrer son passeport à une personne robotisée qui fait toujours les mêmes gestes lentement avec une sorte de lassitude de fonctionnaire aguerri. On récupère les valises, on les charge sur un charriot et hop c'est parti pour un gimkana à travers le parking pour regagner l'aérogare de départ vers la Crimée. A peine remarquons-nous les taxis qui accourent comme les canards d'un étang quand on y jette des croûtons de pain. Ils semblent moins luxueux (les taxis) que ceux qu'on voit en France mais ça ne saute pas aux yeux.





Dans le hall des départs nous regroupons nos valises en cercle pour que les indiens qui voudraient nous attaquer puissent tourner autour. Et nous cherchons à nous raffraîchir d'autant plus que cet endroit n'est pas climatisé, ça nous avons vite vu la différence. On se ravitaille en eau fraîche mais mon sac à dos est déjà plein avec deux kilos de madeleines et deux kilos de savaroises, les Meusiens en voyage emportent leur oxygène avec eux. C'est l'occasion d'échanger davantage avec les autres parents accompagnateurs, bien sympathiques. Les dames cherchent de la boisson, je garde les valises, je regarde les Ukrainiennes. Il y en a qui sont à tomber par terre. J'imagine qu'ici, pour se promener en ville il vaut mieux avoir un chien d'aveugle pour nous éviter de heurter tous les poteaux, notre regard étant déjà assez captivé par ces magnifiques gazelles qui parcourent les rues d'un pas alerte (je vais avoir les féministes sur le dos). On change des Euros en monnaie locale, le Hrivna qu'on découvre assez exotique avec des portraits d'inconnus du genre guerrier de Charlemagne, une princesse très gracieuse ou un prince du genre musulman, une espèce de Khan,quoi ( nous apprendrons par la suite que la Crimée était autre fois avec les Tatars un pays de Khans, il y a certainement eu des petits Khans, des grands Khans).
Le deuxième vol se fait dans un avion plus récent que le premier avec une voisine plus jeune que la précédente et cette fois c'est moi qui fais ma grille de mots croisés. On partage une certaine bonne humeur dans cette rangée de sièges. Dehors le soleil se couche et on entrevoit le paysage du sud de l'Ukraine avec ses champs circulaires au milieu de la steppe semblables à ceux qui existent dans les zones désertiques du Maghreb. On nous sert une boisson, jus de fruit ou eau minérale puis un petit chausson fourré à ... On mord dedans en se disant qu'à la bouchée suivante peut-être... D'après le guide il se pourrait que ce soit de la kacha, bouillie de céréales. Ce même guide dit qu'après un certain temps on s'y fait et que cette bouillie n'est pas aussi insipide qu'elle le paraît. Bah quand on accepte de vivre dangereusement on s'habitue à tout. On se pose à Simféropol, notre avion roule longuement et on est intrigué par les longs bâtiments qui longent le taxi way. Il fait fin nuit quand on descend. Le décallage horaire n'est que d'une heure mais ne compense pas, il fait nuit plus tôt que chez nous. Plus tard nous verrons qu'il fait jour le matin dès quatre heures, heure locale bien sûr.
Nous récupérons nos bagages dans un lieu abrité mais ouvert à tous les vents et qui nous donne l'impression d'arriver à la gare de Toul.










Il fait encore assez chaud. A la sortie nous sommes accueillis par une apparition qui ne valait peut-être pas de se mettre à genoux avec un chapelet mais a provoqué de nombreuses embrassades chaleureuses et beaucoup d'enthousiasme. Hosannah ! Premier contact avec Nathalie notre guide (la place rouge était vide...) et retrouvé Lisa une prof de l'école de danse ukrainienne. Nous montons dans un bus qui a dû avoir son heure de gloire un jour, mais au moins il a des rideaux tout neufs dans des couleurs criardes. On comprend direct que ce n'est pas la peine de chercher les ceintures. On quitte l'aéroport et assez vite on constate que dehors il n'y a pas d'éclairage public. On roule dans la nuit, après quelques kilomètres on s'arrête. Nathalie descend vers un bâtiment qu'on devine, éclairé par une mince lueur. Elle revient après quelques minutes avec des bouteilles d'eau minérale. Et nous nous abreuvons, l'eau est devenue un besoin permanent depuis notre arrivée à Kiev.
Le voyage reprend et on comprend que ce n'est pas maintenant qu'on va pouvoir dormir car l'urgence à ce moment est plutôt de se cramponner.
Après un long trajet nous arrivons devant un bâtiment qui semble officiel avec de larges portes vitrées surmontées d'un auvent de béton. Nous le voyons parce qu'une lueur en sort. Nous y retrouvons les jeunes Ukrainiens qui étaient venus chez nous et leurs parents. Nous voyons enfin en chair et en os la maman d'Anastasia avec laquelle nous avions tenté de communiquer avec l'ordinateur malgré la barrière de la langue. J'échange une très chaleureuse poignée de mains avec Sergueï le papa que j'avais à peine entr'aperçu sur l'écran de notre ordinateur familial.
Nous repartons pour une demi heure et nous arrivons au motel. Il paraît bien plus confortable que ce que nous avions imaginé. Il est fermé sur l'extérieur donc sécurisé. Nous traversons le petit village à pied pour nous rendre au petit restaurant, nous nous sentons vraiment en vacances. Il est fermé mais juste à côté une petite discothèque en entrée libre nous invite à nous amuser, nous préférons nous replier vers le motel. Nous mettons la clim en marche (il est plus de vingt-deux heures) mais après quelques minutes nous n'avons plus d'électricité. En fait si les chambres sont climatisées, l'installation électrique n'est pas dimensionnée pour une utilisation simultanées dans toutes les chambres. Nous disposons aussi de téléviseurs pour le cas où nous souhaiterions voir les feux de l'amour en Ukrainien. Bof !
N'oublions pas les lits qui ne sont pas ce qu'on fait de plus sophistiqué en la matière. Un matelas de cinq centimètres d'épaisseur recouvre une planche d'aggloméré posée sur un cadre de bois. Nous verrons par la suite qu'on y dort finalement aussi bien qu'à la maison.


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